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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/59

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crois que j’adore les vieilles choses, à présent que je ne les ai plus ! Ses lèvres frémissaient.

— Prenez la souffrance actuelle comme une pénible admission de lumière, dit Deronda avec plus de douceur. Vous en savez plus que ne contient le cercle de vos propres inclinations ; vous savez comment votre vie pèse sur d’autres et leurs vies sur la vôtre. Je ne crois pas que vous auriez échappé à ce pénible procédé sous une forme ou sous une autre.

— Mais c’est une forme très cruelle, s’écria Gwendolen en frappant du pied et dans une nouvelle agitation. J’ai peur de tout ! J’ai peur de moi-même ! Quand mon sang bout, je suis capable de faire un coup de tête ; c’est pourquoi j’ai peur de moi-même !

— Changez votre crainte en sauvegarde, reprit Deronda. Que votre terreur soit dirigée sur l’idée d’accroître ce remords qui est si plein d’amertume pour vous ! Nous ne sommes pas toujours dans un état de surexcitation, et quand le calme est revenu, nous pouvons nous servir de notre mémoire et changer graduellement la pente de notre peur, comme nous le faisons pour nos autres goûts. Que votre crainte soit votre sauvegarde !

— Oui, je sais… je comprends ce que vous voulez dire. Mais si les sentiments de colère et de haine se réveillent, comment pourrais-je être bonne ? Et s’il vient un moment où je me sentirai étouffer et que je ne puisse l’endurer ?

Elle s’arrêta et regarda Deronda. L’expression de tristesse qu’elle vit sur son visage, la pénétra d’un sentiment inconnu ; la compassion répandue sur ses traits l’affecta d’un repentir pareil à celui qu’elle avait déjà ressenti ; et d’un ton implorant elle lui dit :

— Je vous fais de la peine ; je suis une ingrate ! Vous pouvez m’aider. Je penserai à ce que vous m’avez dit. J’essayerai. Ne sera-ce pas une peine pour vous que j’aie osé