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Page:Eliot - Daniel Deronda vol 2&3.djvu/79

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peu à faire, ou bien à l’heure où l’ouvrage était terminé ; on ne savait pas davantage qu’après une courte leçon de lecture ou de calcul, le petit restait assis sur les genoux de son maître, dont souvent il fatiguait les membres affaiblis. La cause qui le faisait demeurer était peut-être la réparation d’un jouet, en quoi Mordecai était très adroit, et, quand il tenait ainsi son élève, il lui récitait un poème hébreu, dans lequel, bien des années plus tôt, il avait jeté toutes les ardeurs de sa jeunesse pour cette conception d’un avenir qui possédait son âme, et il faisait répéter les mots après lui par Jacob.

— L’enfant les aura gravés dans le cœur, pensait Mordecai, c’est une manière de les lui imprimer. Mes paroles pourront le diriger un jour, leur signification peut l’illuminer. Il en est de même pour les nations, après bien des jours.

Malheureusement, Jacob vit, un jour, dans la rue, un saltimbanque, et cette vue l’incita à une imitation musculaire bien éloignée de la nouvelle poésie hébraïque d’après le modèle de Jehuda Ha-levy. Mordecai était arrivé à un nouveau passage de son poème, et, dans son enthousiasme à réciter cette invocation, il n’avait pas remarqué que Jacob avait cessé de le suivre et quitté ses genoux. En s’arrêtant, il vit avec stupéfaction que le gamin s’était dressé sur ses mains, les pieds en l’air, imitant le saltimbanque et ramassant avec ses lèvres un penny qui était, pour le moment, un des plus importants trésors de ses poches. Ceci aurait pu passer pour une de ces petites farces enfantines auxquelles était habitué Mordecai ; mais, en ce moment, il en fut horripilé, comme à la vue d’une grimace de Satan sur ses prières…

— Enfant ! s’écria-t-il avec un éclat de voix qui remit Jacob sur ses pieds, et lui-même retomba sur sa chaise en frissonnant et en fermant les yeux.

— Quoi donc ? dit aussitôt le gamin ; mais ne recevant