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Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/103

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demande de la persévérance. Je lui ai montré mes propres volumes manuscrits représentant le travail de plusieurs années, simple travail préparatoire pour une œuvre non encore accomplie ; mais je n’ai rien obtenu. Il ne répond à ces sages raisonnements qu’en se qualifiant de « Pégase » et appelant toute espèce de travail régulier « un harnais ».

Célia se mit à rire, étonnée que M. Casaubon pût dire quelque chose de tout à fait amusant.

— Eh bien, vous savez, il se pourrait qu’il devînt un jour un Byron, un Chatterton, un Churchill, etc., rien n’est impossible, dit M. Brooke. Le laisserez-vous voyager en Italie ou dans n’importe quel pays de son choix ?

— Oui, nous sommes convenus que je lui en fournirais les moyens dans des limites raisonnables pour une année environ ; il n’en demande pas davantage. Je le laisserai faire l’épreuve de sa liberté.

Dorothée regarda M. Casaubon avec ravissement.

— C’est bien à vous, dit-elle, c’est noble. Après tout, il se peut bien, n’est-ce pas ? que les hommes aient en eux quelque vocation qui ne leur apparaisse pas clairement à eux-mêmes. Nous les croyons paresseux et indécis, tandis qu’ils sont en voie de développement. Nous devons, je crois, être très patients les uns envers les autres.

— C’est sans doute ton état de fiancée qui te fait considérer la patience comme une bonne chose, dit Célia, dès qu’elles se trouvèrent seules occupées à se débarrasser de leurs manteaux.

— Tu veux dire que j’en manque, Célia ?

— Oui, quand les autres ne font pas et ne disent pas absolument ce que tu veux.

Célia avait beaucoup moins peur de parler franchement à Dorothée depuis ses fiançailles ; l’érudition lui semblait plus digne de pitié que jamais.