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Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/235

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Will ne put résister à cette bonne humeur imperturbable, et le nuage qui couvrait son front s’évanouit en un rire lumineux.

— Venez maintenant, mon ami, — vous m’aiderez ? dit Naumann d’un ton plein d’espoir.

— Non, sottise, Naumann ! Les ladies anglaises ne sont pas des modèles au service de chacun. Et puis vous prétendez exprimer trop de choses avec votre peinture. Vous auriez fait, et voilà tout, un portrait plus ou moins bon, avec un fond quelconque, qui aurait plu à quelques connaisseurs, déplu à d’autres. Et qu’est-ce que le portrait d’une femme ? Dessin et couleur sont peu de chose, après tout. C’est fait pour troubler et obscurcir les conceptions au lieu de les élever. Le langage est un interprète autrement noble.

— Oui, pour ceux qui ne savent pas peindre. Ici, vous avez bien raison. Je ne vous ai jamais engagé à faire de la peinture, vous, mon ami.

L’aimable artiste venait de lancer sa flèche, mais Ladislaw ne voulut pas en paraître piqué. Il continua comme s’il n’avait rien entendu :

— Le langage nous représente une image bien plus complète, et d’autant meilleure encore, quand elle a un peu de vague. Après tout, la véritable faculté de voir est en nous, et la peinture nous frappe l’œil comme une imperfection constante. C’est surtout devant des portraits de femme que je sens cela. Comme si une femme n’était qu’un simple plan coloré. Vous restez devant, à attendre qu’elle bouge et qu’elle parle. Il y a des nuances jusque dans chaque battement de sa respiration, elle change d’un moment à l’autre. Tenez, cette femme que vous venez de voir : comment peindriez-vous sa voix, s’il vous plaît ? Mais sa voix est bien plus divine encore que tout ce que vous avez vu d’elle.

— Je vois, je vois ! Vous êtes jaloux. Personne ne doit se flatter de pouvoir jamais peindre votre idéal. C’est sérieux,