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Page:Eliot - Middlemarch, volume 1.djvu/358

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— Vous avez bien agi ; je vous remercie de m’avoir dit la vérité.

— Vous comprenez, du reste, que je ne dirai rien qui puisse éclairer M. Casaubon lui-même sur son état. Je crois désirable qu’il ne sache rien de tout cela, si ce n’est qu’il doit éviter tout excès et observer certaines règles. Un ennui, une émotion quelconques, seraient à craindre pour lui.

Lydgate se leva, et Dorothée se leva aussi, mécaniquement au même instant, détachant son manteau et le jetant loin d’elle, comme s’il l’étouffait. Il la salua et allait la quitter, lorsqu’une impulsion soudaine, qui se serait terminée par une prière si elle avait été seule, la fit s’écrier avec un sanglot dans la voix :

— Oh ! vous êtes un homme éclairé, je le sais. Vous n’ignorez rien de ce qui se rapporte à la vie et à la mort. Conseillez-moi ; pensez à ce que je puis faire. Il a travaillé toute sa vie en vue de cet unique but. Il ne se soucie pas d’autre chose. Et moi je ne me soucie pas d’autre chose non plus.

Bien des années après, Lydgate se rappelait encore l’impression qu’il avait eue de cet appel involontaire, ce cri d’une âme à une âme, entre lesquelles il n’y avait pas d’autre sentiment commun que celui qu’ils étaient deux natures du même ordre se mouvant dans le même milieu confus, dans la même vie tumultueuse, illuminée par instants d’une flamme incertaine et agitée. Mais que pouvait-il répondre, sinon qu’il reviendrait le lendemain voir M. Casaubon.

Après son départ, les larmes de Dorothée coulèrent abondamment et la soulagèrent de son étouffante oppression. Puis elle sécha ses yeux, se souvint qu’il ne fallait pas trahir son chagrin à son mari et fit du regard le tour de la chambre, s’apprêtant à dire au domestique de la ranger comme d’habitude, maintenant que M. Casaubon pouvait à tout moment désirer d’y revenir. Sur son bureau se trou-