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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/134

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si ce que nous avons vu une fois ne nous créait au cœur, en s’y fixant, une source de désirs et d’aspirations à le revoir. Il était bien vrai que Dorade désirait mieux connaître les Farebrother, mais il était vrai aussi que, se rappelant ce que Lydgate lui avait dit de Will Ladislaw et de la petite miss Noble, elle comptait que celui-ci viendrait à Lowick voir la famille Farebrother. Le premier dimanche, avant même d’entrer à l’église, elle l’aperçut comme elle l’avait vu pour la dernière fois, seul dans le banc du ministre ; mais, lorsqu’elle entra, il n’y était plus.

Les jours de semaine, lorsqu’elle allait visiter les vieilles dames au rectory, elle attendait en vain qu’elles laissassent échapper quelques mots de Will, il lui semblait que mistress Farebrother parlait de tout le monde des environs et d’au delà, de tout le monde, excepté de lui.

Pauvre Dorothée ! Elle ne savait même pas si Will était encore à Middlemarch, et elle n’eût osé le demander à personne, excepté à Lydgate. Mais comment voir Lydgate sans le faire appeler ou sans aller le trouver elle-même ? Peut-être Will, ayant appris l’étrange sentence de bannissement que M. Casaubon avait laissée contre lui, avait-il senti qu’il valait mieux pour tous deux ne jamais se revoir, et peut-être avait-elle tort de désirer une entrevue contre laquelle les autres trouveraient maintes bonnes raisons à élever, et pourtant, au bout de ces sages réflexions, revenait toujours le même désir, aussi naturellement qu’un sanglot quand on a retenu sa respiration. Et cette entrevue fut lieu, mais combien le formalisme cérémonieux en était inattendu pour elle !

Un matin, vers onze heures, Dorothée était assise dans son boudoir, ayant devant elle un plan du domaine et des papiers d’affaires qu’elle voulait examiner. Elle ne s’était pas encore mise au travail ; elle restait assise, les mains jointes sur ses genoux, suivant du regard la longue avenue de tilleuls jusqu’aux champs lointains. Pas une feuille ne