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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/174

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même n’y tint plus), que ce jeune gardon florissant allât prospérer ainsi sur les déceptions de gens moins heureux et plus sages, faisant son repas d’un rossignol sans jamais s’en douter, et que pendant ce temps sa famille s’imaginât que celle de mistress Garth avait un besoin urgent de ce jeune rejeton !

— Vous avez commis une grande erreur, Fred, en priant M. Farebrother de parler pour vous.

— En vérité ? dit Fred rougissant soudain. Il était alarmé sans comprendre toutefois ce que mistress Garth voulait dire, et il ajouta, comme pour s’excuser : M. Farebrother a toujours été un excellent ami pour nous, je savais que Mary l’écouterait sérieusement, et il s’est chargé de la commission tout à fait volontiers.

— Oui, les jeunes gens sont généralement aveugles à tout, sauf à leurs propres désirs, et ils se préoccupent trop peu de ce que ces désirs peuvent coûter à d’autres.

— Je ne puis concevoir comment cela a pu faire de la peine à M. Farebrother, dit Fred qui sentait malgré tout des conceptions surprenantes se former dans son esprit.

— Précisément, vous ne pouvez pas concevoir, dit mistress Garth, découpant ses paroles aussi nettement que possible.

Fred regarda un instant l’horizon avec une expression d’inquiétude et d’effroi, puis, se retournant par un mouvement brusque, il s’écria presque violemment :

— Voulez-vous dire, mistress Garth, que M. Farebrother soit amoureux de Mary ?

— Et si cela était, Fred, il me semble que vous devriez être la dernière personne à vous en étonner, repartit mistress Garth, déposant son tricot et se croisant les bras.

C’était un signe d’émotion inusitée chez elle que de quitter son ouvrage. Le fait est que ses sentiments étaient partagés entre la satisfaction d’avoir donné à Fred la leçon de mor-