Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/201

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qu’était cette soudaine épreuve pour une jeune créature qui n’avait jamais connu que la jouissance de la vie et rêvé que de nouvelles jouissances plus parfaitement appropriées à ses goûts. Mais il voulait l’épargner le plus possible, et ses larmes lui fendirent le cœur. Il ne put lui parler tout de suite. Rosemonde cependant ne pleurait plus ; elle essaya de vaincre son agitation et essuya ses larmes, regardant toujours la cheminée droit devant elle.

— Ne vous désolez pas ainsi, chérie, dit Lydgate levant les yeux sur elle. Tout lui semblait beaucoup plus pénible à dire depuis que Rosemonde s’était levée et éloignée de lui dans ce moment de peine, mais il fallait absolument continuer. Il faut nous résigner à ce qui est nécessaire. C’est moi qui ai eu tort. J’aurais dû voir qu’il m’était impossible de vivre sur ce pied. Mais bien des choses se sont tournées contre moi dans l’exercice de ma profession et ma clientèle est momentanément tombée bien bas. Je pourrai la reconquérir ; mais il faut jusque-là se plier à la nécessité, il faut changer notre manière de vivre. Nous résisterons à ce coup. Quand j’aurai donné ces garanties, j’aurai le temps de me retourner, et vous êtes si adroite que, si vous voulez bien vous ingénier, vous me donnerez des leçons de sagesse. Je n’ai été dans mes calculs qu’un misérable étourdi. Mais venez, chérie, asseyez-vous et pardonnez-moi.

Lydgate pliait le cou sous le joug comme une créature qui a des griffes mais qui a aussi de la raison, pour la rappeler à la douceur.

Après qu’il eut prononcé ces derniers mots d’une voix suppliante, Rosemonde revint s’asseoir auprès de lui. Voyant qu’il se blâmait ainsi lui-même, elle espéra qu’il se rangerait à son opinion et elle reprit :

— Eh bien, ne pouvez-vous pas différer cet inventaire et renvoyer ces hommes demain quand ils viendront ?

— Je ne les renverrai pas, dit Lydgate, reprenant son