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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/242

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Le cœur de Dorothée sembla se retourner soudain, comme si un coup venait de lui être porté, mais elle ne trahit pas d’émotion : en réalité l’idée que Will était là la comblait de joie, comme la vue de quelque objet précieux perdu et retrouvé. Arrivée près de la porte, elle dit à mistress Kell :

— Entrez d’abord et dites-lui que je suis là.

Will avait retrouvé son portefeuille et l’avait déposé sur la table à l’autre extrémité de la chambre pour passer en revue ses esquisses, se complaisant à regarder ces mémorables œuvres d’art, dont le rapport avec la nature avait un sens trop obscur pour Dorothée. Il souriait encore à cette idée et se hâtait de mettre les dessins en ordre, en pensant qu’il trouverait peut-être une lettre d’elle l’attendant à Middlemarch, quand mistress Kell qui s’était approchée tout près de lui, lui dit :

— Voici mistress Casaubon, monsieur.

Will se retourna tout d’un coup, et l’instant d’après Dorothée entrait. Ils s’abordèrent au moment où mistress Kell refermait la porte derrière elle. Ils se regardèrent et quelque chose qui les empêchait de parler dominait le mutuel sentiment de leur cœur. Ce n’était pas la confusion qui les tenait silencieux, car ils sentaient tous deux que la séparation était proche, et il n’y a pas place pour la fausse honte dans une triste séparation. Elle se dirigea machinalement vers la chaise de son oncle, près de la table à écrire, et Will, après l’avoir avancée un peu pour qu’elle s’y assît, s’éloigna de quelques pas et se tint debout en face d’elle.

— Asseyez-vous, je vous prie, dit Dorothée, croisant ses mains sur ses genoux. Je suis bien heureuse que vous vous soyez trouvé ici.

Will se disait que son visage avait exactement la même expression que lorsque, pour la première fois, elle lui avait tendu la main à Rome ; son bonnet de veuve, fixé à son