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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/246

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tous deux le défaut de nous exprimer avec trop de violence.

— Je ne me suis pas exprimé avec trop de violence, cette fois, dit Will s’appuyant à l’angle du mur. Il y a des épreuves par lesquelles l’homme ne passe qu’une fois en sa vie ; et il faut qu’il sache, tôt ou tard, que le meilleur de l’existence est fini pour lui. J’en aurai fait, bien jeune encore, l’expérience. Voilà tout. Ce qui m’est plus cher que nulle autre chose au monde m’est absolument interdit, et cela non seulement parce que c’est en dehors de ma portée, mais, lors même que ce serait à ma portée, interdit par ma fierté et mon honneur, par tout ce qui fait que je me respecte. Et, après, je m’en irai par la vie comme un homme qui aurait entrevu le ciel dans un moment d’extase.

Will se tut. Dorothée ne pouvait pas ne pas le comprendre ; en réalité, il sentait qu’il se contredisait lui-même et manquait à sa conscience en lui parlant si clairement. Et cependant, dire à une femme qu’on ne la rechercherait jamais, pouvait-on de bonne foi appeler cela rechercher la main d’une femme ? Il faut convenir que c’était une manière de l’autre monde de lui faire la cour.

Mais à l’imagination de Dorothée parcourant rapidement le passé, une autre image venait d’apparaître. La pensée qu’elle était pour Will ce qu’il avait de plus cher au monde la fit palpiter un instant ; puis le doute succéda à cette plénitude de joie. Le souvenir des rares et courts instants où ils s’étaient trouvés ensemble pâlit et s’effaça devant un autre souvenir. Combien plus fréquents avaient été les rapports de Will et d’une autre personne avec laquelle il avait vécu en continuelle intimité à Middlemarch ! Tout ce qu’il venait de dire pouvait se rapporter à cette autre liaison, et tout ce qui s’était passé entre lui et elle-même pouvait bien n’être dû qu’à la simple amitié exaltée par le cruel