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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/339

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le désir de se le rendre favorable, ou mieux de se l’attacher par un sentiment puissant d’obligation personnelle. Il regretta de n’avoir pas fait sur-le-champ un sacrifice d’argent même déraisonnable, car, en cas de soupçons désagréables, en admettant la possibilité de révélations échappées à Raffles pendant son délire, Bulstrode sentait que la reconnaissance d’un bienfait considérable aurait pu lui créer un appui dans l’esprit de Lydgate. Mais le regret était peut-être venu trop tard.

Étrange, pitoyable conflit dans l’âme de cet homme malheureux qui avait aspiré pendant des années à devenir meilleur, qui avait discipliné ses passions égoïstes et les avait revêtues d’une enveloppe sévère, qui avait pu ainsi continuer sa route comme entouré d’un chœur de voix pieuses, jusqu’au jour où une terreur s’était élevée dans son âme, rendant muettes pour chanter ces voix dont les cris unanimes imploraient le salut.

Lydgate ne parut que tard dans l’après-midi ; il avait compté venir plus tôt, mais en avait été empêché, disait-il, et ses regards troublés n’échappèrent pas à Bulstrode ; il se mit tout de suite à examiner son malade et s’informa minutieusement de tout ce qui s’était passé. Raffles était plus mal, il refusait presque toute nourriture, ne pouvait dormir et ne cessait de divaguer, mais toujours sans excitation furieuse. Contrairement aux appréhensions de Bulstrode, il s’aperçut à peine de la présence de Lydgate et continua à parler et à murmurer d’une façon incohérente.

— Que pensez-vous de lui ? dit Bulstrode lorsqu’ils furent seuls.

— Les symptômes sont plus mauvais.

— Vous avez moins d’espoir ?

— Non, je crois toujours qu’il pourra en revenir. Allez-vous rester ici vous-même ? demanda Lydgate à Bulstrode d’un ton brusque qui le mit mal à l’aise, bien qu’en réalité il n’y eût dans la question nulle intention soupçonneuse.