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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/467

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faire aucun effort pour se composer une attitude d’indifférence digne. Ce dont elle avait le moins conscience en ce moment, c’était de son extérieur. Elle pensait à ce qui pouvait occuper l’esprit de Ladislaw et aux sentiments injustes que d’autres avaient conçus pour lui. Y avait-il un devoir, au monde, qui put l’obliger, elle, à être dure ? La résistance à l’injustice s’était mêlée de tout temps à son sentiment pour lui ; et maintenant, dans le contre-coup de ses émotions, après ces moments d’angoisse, cette résistance se réveillait plus forte que jamais. « Si je l’aime trop, c’est parce qu’on l’a trop maltraité », disait au dedans d’elle une voix qui s’adressait à quelque auditoire imaginaire, lorsque la porte s’ouvrit, et Will parut devant elle.

Elle ne bougea pas et il s’avança, son visage était empreint d’un air de timidité et de doute qu’elle ne lui avait jamais vu. Dans son incertitude, il tremblait qu’un regard, un mot de lui, ne le fît condamner à un nouvel exil ; Dorothée avait peur de sa propre émotion. Elle était là comme fixée par un charme qui la tenait immobile, l’empêchant de disjoindre ses mains, tandis qu’il y avait dans ses yeux comme une aspiration grave, profonde et contenue. Voyant qu’elle ne lui tendait pas la main comme à l’ordinaire, Will s’arrêta à quelques pas d’elle et dit avec embarras :

— Je vous suis bien reconnaissant d’avoir consenti à me voir.

— Je le désirais, dit Dorothée, ne trouvant pas d’autre réponse.

Il ne lui vint pas à l’idée de s’asseoir, et Will ne donna pas une interprétation réjouissante à cette façon royale de le recevoir ; mais il continua à parler ainsi qu’il en avait pris la résolution.

— Je crains que vous ne me trouviez absurde et peut-être coupable de revenir déjà. J’ai été puni de mon impatience. Vous connaissez, tout le monde la connaît à présent,