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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/473

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des succès de ma part ? Ce sera bien un hasard si je fais jamais plus que de me suffire honorablement, à moins de consentir à faire de ma plume un instrument vénal. Cela est assez clair. Il n’est pas de femme à qui je pusse offrir ma main, n’eût-elle même pas à renoncé en m’épousant à des habitudes de luxe.

Il y eut un silence. Le cœur de Dorothée était plein de ce qu’elle voulait dire, et cependant les paroles étaient trop difficiles, elle n’en était pas maîtresse : à ce moment le conflit se débattait muet dans son âme. Et c’était très dur de ne pouvoir dire ce qu’elle voulait. Will regardait par la fenêtre avec colère. S’il s’était seulement tourné de son côté, s’il était resté près d’elle, elle pensait que tout eût été plus facile. Enfin il se retourna, et étendant machinalement la main pour prendre son chapeau, il dit avec une sorte d’exaspération :

— Adieu !

— Oh ! je ne peux pas le supporter, mon cœur se brisera ! dit Dorothée quittant vivement son siège, le flot de sa jeune passion entraînant tous les obstacles qui lui avaient fait garder le silence ; de grosses larmes lui vinrent aux yeux et tombèrent tout aussitôt : Je ne m’inquiète pas de la pauvreté, je déteste ma richesse.

En un instant Will fut auprès d’elle, l’entourant de ses bras ; mais elle recula un peu la tête et éloigna doucement celle de Will afin de pouvoir continuer à parler, de ses grands yeux remplis de larmes regardant ceux de Will très simplement, tandis que, d’une voix entrecoupée de sanglots, la pauvre enfant disait :

— Nous pourrions vire très bien sur ma fortune personnelle ; c’est plus qu’il n’en faut : sept cents livres par an. Il me faut si peu… pas de toilettes neuves, et j’apprendrai le prix de toutes choses.