Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/485

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pensé que tu pusses épouser ? James en est affreusement choqué et ne peut se faire à cette idée. Et puis cela est si absolument différent de ce que tu as toujours été. Tu as voulu M. Casaubon parce qu’il avait une si grande âme, qu’il était si vieux, si sombre et si savant. Et maintenant, penser à épouser M. Ladislaw qui n’a ni domaine, ni rien ! C’est donc qu’il faut toujours que tu te mettes dans la peine d’une façon ou d’une autre.

Dorothée se mit à rire.

— Oh ! mais c’est très sérieux, Dodo, dit Célia devenant plus pressante. Comment vivras-tu ? Et tu t’en iras dans un monde étranger, je ne te verrai jamais, et tu ne te soucieras plus du petit Arthur, et je pensais que tu t’intéresserais toujours à lui.

Les larmes, rares chez Célia, étaient venues à ses yeux et les coins de sa bouche tremblaient.

— Chère Célia, dit Dorothée avec une gravité pleine de tendresse, si tu ne me vois jamais, ce ne sera pas de ma faute.

— Si, ce sera de ta faute répliqua Célia avec la même touchante altération sur son gentil visage. Comment pourrais-je venir chez toi ou t’avoir auprès de moi, si James ne peut le supporter ? C’est parce qu’il pense que ce n’est pas bien. Il pense que tu as tellement tort, Dodo ! Mais tu as toujours eu tort ; seulement je ne puis m’empêcher de t’aimer. Et personne ne peut s’imaginer où tu iras vivre. Ou donc iras-tu ?

— J’irai à Londres, dit Dorothée.

— Comment pourras-tu vivre toujours dans une rue ? Tu seras si pauvre ! Je pourrais partager avec toi ce que je possède, mais comment le puis-je si je ne te vois jamais ?

— Sois bénie, Kitty, dit Dorothée avec une tendre ferveur. Prends courage ; peut-être James me pardonnera-t-il un jour ?