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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/53

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tage d’une fortune. Ce que d’autres eussent pu appeler la futilité de sa passion en augmentait les délices pour son imagination : il avait la conscience d’un mouvement généreux, et il était heureux de vérifier par sa propre expérience cette poésie de l’amour le plus élevé, qui avait charmé sa fantaisie. Dorothée était à jamais souverainement établie dans son âme ; nulle autre femme ne pourrait s’asseoir plus haut que son trône ; et s’il eût pu exprimer en syllabes immortelles le sentiment qu’elle avait gravé en lui, il eût pu se vanter, à l’exemple du vieux Drayton, que


Des reines après cela pourraient être heureuses de vivre
Des aumônes du superflu de ses louanges.


Mais avec cela, tout n’était pas dit, et que pouvait-il faire d’autre pour Dorothée ? À quel prix estimait-elle son dévouement ? Impossible de le savoir. Il ne s’éloignerait pas hors de sa portée. Il ne voyait personne parmi les amis de Dorothée, à qui il pût croire qu’elle accordât la même confiance simple qu’à lui. Elle avait dit une fois qu’elle aimerait le voir rester dans le pays, il resterait, de quelques obstacles que pussent l’entourer des dragons à gueules de feu.

Telle avait toujours été la conclusion des hésitations de Will. Mais il n’était pas sans contradiction et sans révolte même vis-à-vis de sa propre résolution. Il avait été souvent comme il l’était cette nuit-là, irrité d’avoir à reconnaître que ses efforts dans sa tâche politique sous la direction de M. Brooke pouvaient ne pas sembler aussi héroïques qu’il l’eût souhaité, et ce sentiment était toujours associé à un autre motif d’irritation : malgré le sacrifice qu’il avait fait de sa dignité pour l’amour de Dorothée, il ne la voyait pour ainsi dire jamais. Sur quoi, incapable de nier ces faits désagréables, il niait ses propres penchants les plus forts et se traitait de fou.