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Page:Eliot - Middlemarch, volume 2.djvu/60

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cette divergence d’opinion avait laissé dans l’esprit de Dorothée la certitude qu’elle avait raison, et que son mari avait tort, mais qu’elle était impuissante à y rien changer. Cet après-midi, son impuissance l’accablait plus tristement que jamais ; elle aspirait à des objets qui pourraient lui être chers et auxquels elle pourrait être chère. Elle aspirait à un travail qui fût directement bienfaisant comme le soleil et la pluie ; et maintenant il semblait qu’elle ne dût plus vivre que dans une tombe, où se trouvait l’appareil d’un travail spectral, produisant ce qui ne serait jamais la lumière du jour. Aujourd’hui même elle s’était tenue debout sur le bord de cette tombe, et elle avait vu Will Ladislaw s’en aller et disparaître dans le monde lointain de la chaude activité et de la fraternité humaine, tournant son visage vers elle pendant qu’il s’éloignait.

Ses livres, non plus que ses pensées, ne pouvaient lui venir en aide. C’était dimanche, et elle ne pouvait disposer de la voiture pour aller chez Célia qui avait eu dernièrement un petit enfant. Nul refuge pour le mécontentement et le vide de son cœur, et Dorothée eut à supporter sa fâcheuse disposition d’âme comme elle eût supporté un mal de tête. Après dîner, à l’heure où habituellement elle commençait à lire à haute voix, M. Casaubon proposa d’aller ensemble dans la bibliothèque où il avait fait allumer du feu et apporter des lumières. Il semblait s’être ranimé, et son esprit plein de pensées intenses.

Dans la bibliothèque, Dorothée remarqua qu’il avait dernièrement arrangé toute une pile de ses livres de notes ; il prit alors un volume bien connu, qu’il lui remit dans la main et qui était une table des matières de tous les autres.

— Vous m’obligerez, ma chère, dit-il en s’asseyant, si, au lieu de me faire la lecture ce soir, vous voulez bien parcourir cela à haute voix, le crayon en main, et à chaque point, où je dirai : « marquez », faire une croix avec le