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LES ROUGON-MACQUART

sont bons qu’à être fichus dedans ! Rappelez-vous ce que je dis !

Hortense et Berthe hochèrent la tête, comme pénétrées de ces conseils. Depuis longtemps, leur mère les avait convaincues de la parfaite infériorité des hommes, dont l’unique rôle devait être d’épouser et de payer. Un grand silence se fit, dans la salle à manger fumeuse, où la débandade du couvert, laissée par Adèle, mettait une odeur enfermée de nourriture. Les Josserand, en grande toilette, épars et accablés sur des sièges, oubliaient le concert des Duveyrier, songeaient aux continuelles déceptions de l’existence. Au fond de la chambre voisine, on entendait les ronflements de Saturnin, qu’ils avaient couché de bonne heure.

Enfin, Berthe parla.

— C’est raté alors… On se déshabille ?

Mais, du coup, madame Josserand retrouva son énergie. Hein ? quoi ? se déshabiller ! et pourquoi donc ? est-ce qu’ils n’étaient pas honnêtes, est-ce que leur alliance n’en valait pas une autre ? Le mariage se ferait quand même, ou elle crèverait plutôt. Et, rapidement, elle distribua les rôles : les deux demoiselles reçurent l’ordre d’être très aimables pour Auguste, de ne plus le lâcher, tant qu’il n’aurait pas fait le saut ; le père avait la mission de conquérir le vieux Vabre et Duveyrier, en disant toujours comme eux, si cela était à la portée de son intelligence ; quant à elle, désireuse de ne rien négliger, elle se chargeait des femmes, elle saurait bien les mettre toutes dans son jeu. Puis, se recueillant, jetant un dernier coup d’œil autour de la salle à manger, comme pour voir si elle n’oubliait aucune arme, elle prit un air terrible d’homme de guerre qui conduirait ses filles au massacre, et dit ce seul mot d’une voix forte :

— Descendons !