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POT-BOUILLE

Berthe est jolie, il la voit déjà dans son comptoir ; et quant à la dot, cinquante mille francs sont une somme respectable qui l’a décidé.

L’oncle Bachelard ne sourcilla pas. Il finit par dire, d’un air attendri, qu’il avait rêvé mieux. Et il tomba sur le futur gendre : un charmant garçon, certainement ; mais trop vieux, beaucoup trop vieux, trente-trois ans passés ; du reste, toujours malade, la figure tirée par la migraine ; enfin, l’air triste, pas assez gai pour le commerce.

— En as-tu un autre ? demanda madame Josserand, dont la patience se lassait. J’ai remué Paris avant de le trouver.

D’ailleurs, elle ne s’illusionnait guère. Elle l’éplucha.

— Oh ! ce n’est pas un aigle, je le crois même assez bête… Puis, je me méfie de ces hommes qui n’ont jamais eu de jeunesse et qui ne risquent pas une enjambée dans l’existence, sans y réfléchir quelques années. Celui-là, au sortir du collège, où ses maux de têtes l’ont empêché d’achever ses études, est resté quinze ans petit employé de commerce, avant d’oser toucher à ses cent mille francs, dont son père, paraît-il, lui filoutait les intérêts… Non, non, il n’est pas fort.

Jusque-là, M. Josserand avait gardé le silence. Il se risqua.

— Mais alors, ma bonne, pourquoi s’entêter à ce mariage. Si le jeune homme n’a pas de santé…

— Oh ! pas de santé, interrompit Bachelard, ce n’est pas encore ça qui empêcherait… Berthe ne serait plus en peine ensuite pour se remarier.

— Enfin, s’il est incapable, reprit le père, s’il doit rendre notre fille malheureuse…

— Malheureuse ! cria madame Josserand. Dites tout de suite que je jette mon enfant à la tête du premier venu !… On est en famille, on le discute : il est ceci, il