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LES ROUGON-MACQUART

toute pâle d’une colère lentement amassée, et qui brusquement fit explosion.

— Eh bien ! monsieur, puisqu’il en est ainsi, ce mariage se fera… C’est la dernière chance de ma fille. Je me couperais le poignet plutôt que de la laisser échapper. Tant pis pour les autres ! À la fin, quand on vous pousse, on devient capable de tout.

— Alors, madame, vous assassineriez pour marier votre fille ?

Elle se leva toute droite.

— Oui ! dit-elle furieusement.

Puis, elle eut un sourire. L’oncle dut calmer l’orage. À quoi bon se chamailler ? Il valait mieux s’entendre. Et, tremblant encore de la querelle, éperdu et las, M. Josserand finit par vouloir bien causer de l’affaire avec Duveyrier, dont tout dépendait, selon madame Josserand. Seulement, pour prendre le conseiller en un moment de bonne humeur, l’oncle offrit à son beau-frère de le lui faire rencontrer dans une maison, où il ne savait rien refuser.

— C’est une simple entrevue, déclara M. Josserand luttant encore. Je vous jure que je ne m’engagerai pas.

— Sans doute, sans doute, dit Bachelard. Éléonore ne vous demande rien contre l’honneur.

Berthe revenait. Elle avait vu des bottes de fruits confits, et, après de vives caresses, elle tâcha de s’en faire donner une. Mais l’oncle se trouvait repris de son bégaiement ; pas possible, c’était compté, ça partait le soir même pour Saint-Pétersbourg. Lentement, il les poussait vers la rue, tandis que sa sœur, devant l’activité des vastes magasins, pleins jusqu’aux solives de toutes les marchandises imaginables, s’attardait, souffrant de cette fortune gagnée par un homme sans principes, faisant un retour amer sur l’honnêteté incapable de son mari.