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LES ROUGON-MACQUART

une noce l’attendrissait, ne pouvait se tenir de mener les gens chez ces dames, partagé entre la vanité de montrer son trésor et la crainte de se le faire voler ; puis, le lendemain, il oubliait, il retournait rue Saint-Marc avec des airs de mystère.

— Tout le monde connaît Fifi, dit Gueulin tranquillement.

Cependant, Bachelard cherchait une voiture, lorsque Octave s’écria :

— Et monsieur Josserand qui est au café !

Les autres n’y songeaient plus. M. Josserand, très contrarié de perdre sa soirée, s’impatientait sur la porte, car il ne prenait jamais rien dehors. Enfin, on partit pour la rue de la Cerisaie. Mais il fallut deux voitures, le commissionnaire et le caissier dans l’une, les trois jeunes gens dans l’autre.

Gueulin, la voix couverte par les bruits de ferraille du vieux fiacre, parla d’abord de la compagnie d’assurances, où il était employé. Les assurances, la Bourse, tout ça se valait comme embêtement, affirmait Trublot. Puis, la conversation tomba sur Duveyrier. Était-ce malheureux, un homme riche, un magistrat, se laisser dindonner de cette façon par les femmes ! Toujours il lui en avait fallu, dans les quartiers excentriques, au bout des lignes d’omnibus : petites dames en chambre, modestes et jouant un rôle de veuve ; lingères ou mercières vagues, tenant des magasins sans clientèle ; filles tirées de la boue, nippées, cloîtrées, chez lesquelles il allait une fois par semaine, régulièrement, ainsi qu’un employé se rend à son bureau. Trublot pourtant l’excusait : d’abord, c’était la faute de son tempérament ; ensuite, on n’avait pas une sacrée femme comme la sienne. Dès la première nuit, disait-on, elle l’avait pris en horreur, dégoûtée par ses taches rouges. Aussi lui tolérait-elle volontiers des maîtresses, dont