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LES ROUGON-MACQUART

retrouvaient ici, formant les mêmes groupes. Mais on fumait, on parlait haut, toute une gaieté volait dans la clarté vive des bougies. Deux messieurs, allongés l’un près de l’autre, occupaient la largeur d’un divan ; un autre, à califourchon sur une chaise, chauffait son dos devant la cheminée. C’était une aimable aisance, une liberté qui, du reste, n’allait pas plus loin. Jamais Clarisse ne recevait de femme, par propreté, disait-elle. Quand ses familiers se plaignaient que son salon manquât de dames, elle répondait en riant :

— Eh bien ! et moi, est-ce que je ne suffis pas ?

Elle avait arrangé pour Alphonse un intérieur décent, au fond très bourgeoise, ayant la passion du comme il faut, sous les continuelles culbutes de sa vie. Lorsqu’elle recevait, elle ne voulait plus être tutoyée. Ensuite, le monde parti, les portes closes, tous les amis d’Alphonse y passaient, sans compter les siens, des acteurs rasés, des peintres à fortes barbes. C’était une habitude ancienne, le besoin de se refaire un peu, derrière les talons de l’homme qui payait. De tout son salon, deux seulement n’avaient pas voulu : Gueulin, tourmenté par la peur des suites, et Trublot, dont les affections étaient ailleurs.

Justement, la petite bonne promenait des verres de punch, de son air agréable. Octave en prit un ; et, se penchant à l’oreille de son ami.

— La bonne est mieux que la maîtresse.

— Parbleu ! toujours ! dit Trublot, avec un haussement d’épaules, plein d’une conviction dédaigneuse.

Clarisse vint causer un instant. Elle se multipliait, allait des uns aux autres, jetait un mot, un rire, un geste. Comme chaque nouvel arrivant allumait un cigare, le salon fut bientôt plein de fumée.

— Oh ! les vilains hommes ! cria-t-elle gentiment, en allant ouvrir une fenêtre.