Page:Emile Zola - Pot-Bouille.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
217
POT-BOUILLE

pris de révolte. J’ai cru honnête de les prévenir tout de suite de cet ennui… Est-ce qu’ils s’imaginent que ça m’amuse ! Je suis plus attrapé qu’eux, là dedans. D’autant plus que, sapristi ! il n’y a pas de ma faute… N’est-ce pas ? Marie, si nous savons comment il a pu pousser, celui-là !

— Ça, c’est bien vrai, affirma la jeune femme.

Octave comptait les mois. Elle était enceinte de cinq mois, et de fin décembre à fin mai, le compte s’y trouvait. Il en fut tout ému ; puis, il aima mieux douter ; mais son attendrissement persistait, il éprouvait le besoin violent de faire quelque chose de gentil pour les Pichon. Jules continuait à grogner : on le recevrait tout de même, cet enfant ; seulement, il aurait bien dû rester où il était. De son côté, Marie, d’ordinaire si douce, se fâchait, finissait par donner raison à sa mère, qui ne pardonnait jamais la désobéissance. Et le ménage en arrivait à une querelle, se jetant le petit au visage, s’accusant l’un l’autre de l’avoir fait, lorsque Octave intervint gaiement.

— Ça n’avance à rien, maintenant qu’il est là… Voyons, il ne faut pas dîner ici ; ce serait trop triste. Je vous emmène au restaurant, voulez-vous ?

La jeune femme rougit. Dîner au restaurant était sa joie. Elle parla pourtant de sa fille, qui l’empêchait toujours de prendre des plaisirs. Mais il fut décidé que, cette fois, Lilitte serait de la partie. Et ce fut une soirée charmante. Octave les avait menés au Bœuf à la mode, dans un cabinet, pour être plus libre, disait-il. Là, il les accabla de nourriture, avec une prodigalité émue, ne songeant pas à l’addition, heureux de les voir manger. Même, au dessert, quand on eut allongé Lilitte entre deux oreillers du divan, il demanda du champagne ; et ils s’oublièrent, les coudes sur la table, les yeux humides, tous trois pleins de cœur, alanguis par