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POT-BOUILLE

Les nouveautés d’été allaient magnifiquement, toujours les affaires de la maison s’étendaient. Cette semaine-là surtout, la vente des petits lainages s’annonçait tellement bien, qu’elle laissa échapper un soupir.

— Ah ! si nous avions de la place !

— Mais, dit-il, commençant l’attaque, cela dépend de vous… J’ai une idée, depuis quelque temps, dont je veux vous parler.

C’était l’affaire d’audace qu’il cherchait. Il s’agissait d’acheter la maison voisine, sur la rue Neuve-Saint-Augustin, de donner congé à un marchand d’ombrelles et à un bimbelotier, puis d’agrandir les magasins, où l’on pourrait créer de vastes rayons. Et il s’échauffait, se montrait plein de mépris pour l’ancien commerce, au fond de boutiques humides, noires, sans étalage, évoquait du geste un commerce nouveau, entassant tout le luxe de la femme dans des palais de cristal, remuant les millions au plein jour, flambant le soir ainsi qu’une fête de gala princier.

— Vous tuerez le commerce du quartier Saint-Roch, disait-il, vous attirerez à vous les petites clientèles. Ainsi, la maison de soierie de monsieur Vabre vous fait du tort aujourd’hui ; développez vos vitrines sur la rue, créez un rayon spécial, et vous le réduisez à la faillite avant cinq ans… Enfin, il est toujours question d’ouvrir cette rue du Dix-Décembre, qui doit aller du nouvel Opéra à la Bourse. Mon ami Campardon m’en parle quelquefois. Cela peut décupler le mouvement d’affaires du quartier.

Madame Hédouin, le coude sur un registre, sa belle tête grave appuyée dans la main, l’écoutait. Elle était née au Bonheur des Dames, fondé par son père et son oncle, elle aimait la maison, elle la voyait s’élargir, dévorer les maisons voisines, étaler une façade royale ; et ce rêve allait à son intelligence vive, à sa volonté droite,