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LES ROUGON-MACQUART

épaules serrées et grelottantes sous de minces sorties de bal. Madame Josserand venait derrière, drapée dans une vieille fourrure, des ventres de petits-gris râpés comme des peaux de chat. Toutes trois, sans chapeau, avaient les cheveux enveloppés d’une dentelle, coiffure qui faisait retourner les derniers passants, surpris de les voir filer le long des maisons, une par une, le dos arrondi, les yeux sur les flaques. Et l’exaspération de la mère montait encore, au souvenir de tant de retours semblables, depuis trois hivers, dans l’empêtrement des toilettes, dans la crotte noire des rues et les ricanements des polissons attardés. Non, décidément, elle en avait assez, de trimbaler ses demoiselles aux quatre bouts de Paris, sans oser se permettre le luxe d’un fiacre, de peur d’avoir le lendemain à retrancher un plat du dîner !

— Et ça fait des mariages ! dit-elle tout haut, en revenant à madame Dambreville, parlant seule pour se soulager, sans même s’adresser à ses filles, qui avaient enfilé la rue Saint Honoré. Ils sont jolis, ses mariages ! Un tas de pimbêches qui lui arrivent on ne sait d’où ! Ah ! si l’on n’y était pas forcé !… C’est comme son dernier succès, cette nouvelle mariée qu’elle a sortie, afin de nous montrer que ça ne ratait pas toujours : un bel exemple ! une malheureuse enfant qu’il a fallu remettre au couvent pendant six mois, après une faute, pour la reblanchir !

Les jeunes filles traversaient la place du Palais-Royal, lorsqu’une averse tomba. Ce fut une déroute. Elles s’arrêtèrent, glissant, pataugeant, regardant de nouveau les voitures qui roulaient à vide.

— Marchez ! cria la mère, impitoyable. C’est trop près maintenant, ça ne vaut pas quarante sous… Et votre frère Léon qui a refusé de s’en aller avec nous, de crainte qu’on ne le laissât payer ! Tant mieux s’il