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LES ROUGON-MACQUART

très jolie, avec sa peau blanche et ses petits cheveux blonds ébouriffés.

— Oh ! l’estomac va bien, ce n’est pas l’estomac qui est malade, répétait-elle en trempant ses tartines.

Deux larmes tombèrent dans son café. Alors, Gasparine la gronda.

— Si tu pleures, je vais appeler Achille… N’es-tu pas contente ? n’es-tu pas là comme une reine ?

Quand madame Campardon eut fini et qu’elle se retrouva seule en compagnie d’Octave, elle était d’ailleurs consolée. Par coquetterie, elle se remit à parler de la mort, mais avec la gaieté douce d’une femme faisant la grasse matinée dans la tiédeur des draps. Mon Dieu ! elle s’en irait tout de même, lorsque son tour viendrait ; seulement, ils avaient raison, elle n’était pas malheureuse, elle pouvait se laisser vivre, car ils lui évitaient en somme les grosses besognes de l’existence. Et elle s’enfonçait dans son égoïsme d’idole sans sexe.

Puis, comme le jeune homme se levait :

— Entrez plus souvent, n’est-ce pas ?… Amusez-vous bien, ne vous attristez pas trop à ce convoi. On meurt un peu tous les jours, il faut s’y habituer.

Sur le même palier, chez madame Juzeur, ce fut Louise, la petite bonne, qui vint ouvrir à Octave. Elle l’introduisit au salon, le regarda un instant avec son rire ahuri, puis finit par déclarer que sa maîtresse achevait de s’habiller. Du reste, madame Juzeur parut tout de suite, vêtue de noir, plus douce et plus fine encore dans ce deuil.

— J’étais certaine que vous viendriez ce matin, soupira-t-elle d’un air d’abattement. Toute la nuit, j’ai rêvassé, je vous voyais… Impossible de dormir, vous comprenez, avec ce mort dans la maison !

Et elle avoua qu’elle s’était levée trois fois, pour regarder sous les meubles.