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LES ROUGON-MACQUART

brutal comme les autres hommes, que rien ne satisfait, tant qu’on leur refuse quelque chose. Pourtant, je vous aime bien. Tout ce que vous voudrez, mais pas ça, mon amour !

Elle se livrait, lui permettait les caresses les plus vives et les plus secrètes, ne le repoussant, d’un mouvement de brusque vigueur nerveuse, que s’il tentait le seul acte défendu. Et, dans son obstination, il y avait comme une réserve jésuitique, une peur du confessionnal, une certitude d’obtenir le pardon des petits péchés, tandis que le gros lui causerait trop d’ennuis avec son directeur. Puis, c’étaient encore d’autres sentiments inavoués, l’honneur et l’estime de soi-même mis en un seul point, la coquetterie de tenir toujours les hommes en ne les satisfaisant jamais, une savante jouissance personnelle à se faire manger de baisers partout, sans le coup de bâton de l’assouvissement final. Elle trouvait ça meilleur, elle s’y entêtait, pas un homme ne pouvait se flatter de l’avoir eue, depuis le lâche abandon de son mari. Et elle était une femme honnête !

— Non, monsieur, pas un ! Ah ! je puis aller la tête haute, moi ! Que de malheureuses, dans ma position, se seraient mal conduites !

Elle l’écarta avec douceur et se leva du canapé.

— Laissez-moi… Ça me tourmente trop, ce mort, en dessous. Il me semble que la maison entière le sent.

D’ailleurs, l’heure de l’enterrement approchait. Elle voulait aller avant le corps à l’église, pour ne pas voir toute la cuisine funèbre. Mais, comme elle le reconduisait, elle se souvint de lui avoir parlé de sa liqueur des îles ; et elle le fit rentrer, elle apporta elle-même deux verres et la bouteille. C’était une crème très sucrée, avec des parfums de fleurs. Quand elle but, une gour-