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LES ROUGON-MACQUART

Puis, il reprit sa promenade, en jetant des regards obliques sur le commis, qu’il soupçonnait d’être le complice de ces dames, ou tout au moins de les excuser. Octave, à la dérobée, l’examinait aussi d’un air inquiet. Jamais il ne l’avait vu si nerveux. Que se passait-il donc ? Et, comme il tournait la tête, il aperçut, au fond de la boutique, Saturnin qui nettoyait une glace avec une éponge imbibée d’alcool. Peu à peu, dans la famille, on mettait le fou à des travaux de domestique, pour lui faire au moins gagner sa nourriture. Mais, ce soir-là, les yeux de Saturnin luisaient étrangement. Il se coula derrière Octave, il lui dit très bas :

— Faut se méfier… Il a trouvé un papier. Oui, il a un papier dans sa poche… Attention, si c’est à vous !

Et il retourna lestement frotter sa glace. Octave ne comprit pas. Le fou lui témoignait depuis quelque temps une affection singulière, comme la caresse d’une bête qui céderait à un instinct, à un flair pénétrant les délicatesses lointaines d’un sentiment. Pourquoi lui parlait-il d’un papier ? Il n’avait pas écrit de lettre à Berthe, il ne se permettait encore que de la regarder avec des yeux tendres, guettant l’occasion de lui faire un petit cadeau. C’était là une tactique adoptée par lui, après de mûres réflexions.

— Onze heures dix ! nom de Dieu de nom de Dieu ! cria brusquement Auguste, qui ne jurait jamais.

Mais, au même moment, ces dames rentraient. Berthe avait une délicieuse robe de soie rose, brodée de jais blanc ; tandis que sa sœur, toujours en bleu, et sa mère, toujours en mauve, gardaient leurs toilettes voyantes et laborieuses, remaniées à chaque saison. Madame Josserand entra la première, imposante, large, pour clouer du coup au fond de la gorge de son gendre les reproches, que toutes trois venaient de prévoir, dans