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POt-BOUILLE

— Accuse-moi de faire danser l’anse du panier !… Ah ! tu es gentil !

Tout partit de là, ils en arrivèrent bientôt aux mots les plus vifs. Auguste, malgré son désir d’acheter chèrement la paix, se montrait agressif, excité par la vue du lapin, du gigot et des choux-fleurs, hors de lui devant ce tas de nourriture, qu’elle jetait en une fois, sous le nez de ses parents. Il feuilletait le livre de compte, s’exclamait à chaque article. Ce n’était pas Dieu possible ! elle s’entendait avec la bonne pour gagner sur les provisions.

— Moi ! moi ! cria la jeune femme poussée à bout ; moi, je m’entends avec la bonne !… Mais c’est vous, monsieur, qui la payez pour m’espionner ! Oui, je la sens toujours sur mon dos, je ne puis risquer un pas sans rencontrer ses yeux… Ah ! elle peut bien regarder par le trou de la serrure, quand je change de linge. Je ne fais rien de mal, je me moque de votre police… Seulement, ne poussez pas l’audace jusqu’à me reprocher de m’entendre avec elle.

Cette attaque imprévue laissa le mari un moment stupéfait. Rachel s’était tournée, sans lâcher le gigot ; et elle mettait la main sur son cœur, elle protestait :

— Oh ! madame, pouvez-vous croire !… Moi qui respecte tant madame !

— Elle est folle ! dit Auguste en haussant les épaules. Ne vous défendez pas, ma fille… Elle est folle !

Mais un bruit, derrière son dos, l’inquiéta. C’était Saturnin qui venait de jeter violemment l’un des souliers à moitié ciré, pour s’élancer au secours de sa sœur. La face terrible, les poings serrés, il bégayait qu’il étranglerait ce sale individu, s’il la traitait encore de folle. Peureusement, l’autre s’était réfugié derrière la fontaine, en criant :