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LES ROUGON-MACQUART

s’avouait même pas ; il adorait Berthe, il la désirait follement, et dans ce besoin de l’avoir, renaissait pour l’autre une tendresse infinie, un amour dont il n’avait jamais éprouvé la douceur, au temps de leur liaison. C’était un charme continuel à la regarder, à la toucher, des plaisanteries, des taquineries, les jeux de main d’un homme qui voudrait reprendre une femme, avec la secrète gêne d’aimer ailleurs. Et, ces jours-là, quand Saturnin le surprenait pendu aux jupes de Marie, il le menaçait de ses yeux de loup, prêt à mordre, ne lui pardonnant, ne revenant lui baiser les doigts, en bête soumise, que lorsqu’il le revoyait auprès de Berthe, fidèle et tendre.

Enfin, comme septembre finissait et que les locataires étaient sur le point de rentrer, Octave, dans son tourment, conçut une idée folle. Justement, Rachel, dont une sœur se mariait en province, avait demandé la permission de découcher, un mardi que monsieur devait se rendre à Lyon ; et il s’agissait, simplement, de passer la nuit dans la chambre de la bonne, où personne au monde n’aurait l’idée d’aller les chercher. Berthe, blessée, marqua d’abord la plus vive répugnance ; mais il la conjurait avec des larmes, il parlait de quitter Paris où il souffrait trop, il la troublait et la lassait de tant d’arguments, que, la tête perdue, elle finit par consentir. Tout fut réglé. Le mardi soir, après le dîner, ils prirent une tasse de thé chez les Josserand, afin d’écarter les soupçons. Il y avait là Trublot, Gueulin, l’oncle Bachelard ; même, très tard, on vit arriver Duveyrier, qui venait parfois coucher rue de Choiseul, en alléguant des affaires matinales. Octave affecta de causer librement avec ces messieurs ; puis, comme minuit sonnait, il s’échappa, monta s’enfermer dans la chambre de Rachel, où Berthe devait le rejoindre une heure après, quand la maison dormirait.