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LES ROUGON-MACQUART

Elle comprit, elle se mit une fois encore à pleurer. Non ! non ! maintenant, elle n’irait pas, il lui gâtait le bonheur de leur rendez-vous. Elle avait parlé de ce châle en l’air, elle n’en voulait plus, elle le jetterait au feu, s’il lui en faisait cadeau. Pourtant, le lendemain, ils convinrent de tout : minuit et demi, elle frapperait trois coups légers.

Ce jour-là, quand Auguste partit pour Lyon, il parut singulier à Berthe. Elle l’avait surpris parlant bas avec Rachel, derrière la porte de la cuisine ; en outre, il était jaune, grelottant, l’œil fermé ; mais, comme il se plaignait de sa migraine, elle le crut malade et lui assura que le voyage lui ferait du bien. Dès qu’elle fut seule, elle retourna dans la cuisine, tâcha de sonder la bonne, par un reste d’inquiétude. Cette fille continuait à se montrer discrète, respectueuse, dans son attitude raide des premiers jours. La jeune femme, pourtant, la sentait vaguement mécontente ; et elle pensait qu’elle avait eu grand tort de lui donner vingt francs et une robe, puis de couper court à ses libéralités, forcément, car elle courait toujours après cent sous.

— Ma pauvre fille, lui dit-elle, je suis bien peu généreuse, n’est-ce pas ?… Allez, ce n’est pas de ma faute. Je songe à vous, je vous récompenserai.

Rachel répondit de son air froid :

— Madame ne me doit rien.

Alors, Berthe alla chercher deux vieilles chemises à elle, voulant au moins lui prouver son bon cœur. Mais la bonne, en les prenant, déclara qu’elle en ferait des linges pour la cuisine.

— Merci, madame, la percale me donne des boutons, je ne porte que de la toile.

Berthe, cependant, la trouvait si polie, qu’elle se rassura. Elle se montra familière, lui avoua qu’elle découcherait, la pria même de laisser une lampe allumée,