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POT-BOUILLE

versement, vous êtes servie de l’argent pour faire recouvrir le meuble du salon ? Et, depuis, vous avez même négocié les primes versées.

— Certes ! puisque vous nous laissez mourir de faim… Ah ! vous pourrez bien vous mordre les doigts, si vos filles coiffent Sainte-Catherine.

— Me mordre les doigts !… Mais, tonnerre de Dieu ! c’est vous qui mettez les maris en fuite, avec vos toilettes et vos soirées ridicules !

Jamais M. Josserand n’était allé si loin. Madame Josserand, suffoquée, bégayait les mots : « Moi, moi, ridicule ! » lorsque la porte s’ouvrit : Hortense et Berthe revenaient, en jupon et en camisole, dépeignées, les pieds dans des savates.

— Ah bien ! ce qu’il fait froid, chez nous ! dit Berthe en grelottant. Ça vous gèle les morceaux dans la bouche… Ici, au moins, il y a du feu, ce soir.

Et toutes deux traînèrent des chaises, s’assirent contre le poêle, qui gardait un reste de tiédeur. Hortense tenait du bout des doigts son os de lapin, qu’elle épluchait savamment. Berthe trempait des mouillettes dans son verre de sirop. D’ailleurs, les parents, lancés, ne parurent pas même s’apercevoir de leur entrée. Ils continuèrent.

— Ridicule, ridicule, monsieur !… Je ne le serai plus, ridicule ! Je veux qu’on me coupe la tête, si j’use encore une paire de gants pour les marier… À votre tour ! Et tâchez de n’être pas plus ridicule que moi !

— Parbleu ! madame, maintenant que vous les avez promenées et compromises partout ! Mariez-les, ne les mariez pas, je m’en fiche !

— Je m’en fiche plus encore, monsieur Josserand ! Je m’en fiche tellement, que je vais les flanquer à la rue, si vous me poussez davantage. Pour peu que le cœur vous en dise, vous pouvez même les suivre, la