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LES ROUGON-MACQUART

possible ? une gamine de seize ans, une sauvage qui ne savait rien de l’existence !

— Pourquoi pas ? répétait madame Joserand à chaque interrogation, pourquoi pas, s’il l’aime ?

Non ! non ! il ne l’aimait pas, il ne pouvait pas l’aimer ! Madame Dambreville se débattait, s’abandonnait.

— Voyons, cria-t-elle, je ne lui demande qu’un peu de gratitude… C’est moi qui l’ai fait, c’est grâce à moi qu’il est auditeur, et il trouvera sa nomination de maître des requêtes dans la corbeille… Madame, je vous en supplie, dites-lui qu’il revienne, dites-lui qu’il me fasse ce plaisir. Je m’adresse à son cœur, à votre cœur de mère, oui, à tout ce que vous avez de noble…

Elle joignit les mains, ses paroles se brisaient. Il y eut un silence, toutes deux restaient face à face. Et brusquement, elle éclata en gros sanglots, vaincue, emportée, bégayant :

— Pas avec Raymonde, oh ! non, pas avec Raymonde !

C’était une rage d’amour, le cri d’une femme qui refuse de vieillir, qui se cramponne au dernier homme, dans la crise ardente du retour d’âge. Elle avait saisi les mains de madame Josserand, elle les trempait de larmes, avouant tout à la mère, s’humiliant devant elle, répétant qu’elle seule pouvait agir sur son fils, jurant un dévouement de servante, si elle le lui rendait. Sans doute, elle n’était pas venue pour dire ces choses ; elle se promettait, au contraire, de ne rien laisser deviner, mais son cœur crevait, il n’y avait pas de sa faute.

— Taisez-vous, ma chère, vous me faites honte, répondait madame Josserand, l’air fâché. J’ai des filles qui peuvent vous entendre… Moi, je ne sais rien, je ne veux rien savoir. Si vous avez des affaires avec mon fils, arrangez-vous ensemble. Jamais je n’accepterai un rôle équivoque.