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POT-BOUILLE

pitié… On a beau avoir reçu de l’instruction, si l’on n’est pas bien mis, les gens vous méprisent. Ce n’est pas juste, mais c’est ainsi… Je porterais plutôt des jupons sales qu’une robe d’indienne. Mangez des pommes de terre, mais ayez un poulet, quand vous avez du monde à dîner… Et ceux qui disent le contraire sont des imbéciles !

Elle regardait fixement son mari, auquel ces dernières pensées s’adressaient. Celui-ci, épuisé, refusant une nouvelle bataille, eut la lâcheté de déclarer :

— C’est bien vrai, il n’y a que l’argent aujourd’hui.

— Tu entends, reprit madame Josserand en revenant sur sa fille. Marche droit et tâche de nous donner des satisfactions… Comment as-tu encore raté ce mariage ?

Berthe comprit que son tour était venu.

— Je ne sais pas, maman, murmura-t-elle.

— Un sous-chef de bureau, continuait la mère ; pas trente ans, un avenir superbe. Tous les mois, ça vous apporte son argent ; c’est solide, il n’y a que ça… Tu as encore fait quelque bêtise, comme avec les autres ?

— Je t’assure que non, maman… Il se sera renseigné, il aura su que je n’avais pas le sou.

Mais madame Josserand se récriait.

— Et la dot que ton oncle doit te donner ! Tout le monde la connaît, cette dot… Non, il y a autre chose, il a rompu trop brusquement… En dansant, vous avez passé dans le petit salon.

Berthe se troubla.

— Oui, maman… Et même, comme nous étions seuls, il a voulu de vilaines choses, il m’a embrassée, en m’empoignant comme ça. Alors, j’ai eu peur, je l’ai poussé contre un meuble…

Sa mère l’interrompit, reprise de fureur.

— Poussé contre un meuble, ah ! la malheureuse, poussé contre un meuble !