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LES ROUGON-MACQUART

— Ce n’est pas le livre qu’il faudrait brûler, c’est l’auteur, répétait-il.

— Vous êtes peut-être trop radical, mon ami, interrompit l’abbé d’une voix conciliante. Mais, en effet, les symptômes deviennent terribles… On parle de chasser le pape, voilà la révolution dans le parlement, nous marchons aux abîmes.

— Tant mieux ! dit simplement le docteur Juillerat.

Alors, tous se révoltèrent. Il renouvelait ses attaques contre la bourgeoisie, lui promettait un joli coup de balai, pour l’heure où le peuple voudrait jouir à son tour ; et les autres l’interrompaient violemment, criaient que la bourgeoisie était la vertu, le travail, l’épargne de la nation. Duveyrier domina enfin les voix. Il le confessait hautement, il avait voté pour M. Dewinck, non pas que M. Dewinck représentât son opinion exacte, mais parce qu’il était le drapeau de l’ordre. Oui, les saturnales de la Terreur pouvaient renaître. M. Rouher, l’homme d’État si remarquable qui venait de remplacer M. Billault, l’avait formellement prophétisé à la tribune. Il termina par ces paroles imagées :

— Le triomphe de votre liste, c’est le premier ébranlement de l’édifice. Prenez garde qu’il ne vous écrase !

Ces messieurs se taisaient, avec la peur inavouée de s’être laissé emporter jusqu’à compromettre leur sécurité personnelle. Ils voyaient des ouvriers, noirs de poudre et de sang, entrer chez eux, violer leur bonne et boire leur vin. Sans doute, l’empereur méritait une leçon ; seulement, ils commençaient à regretter de lui en avoir donné une aussi forte.

— Soyez donc tranquilles ! conclut le docteur, goguenard. On vous sauvera encore à coups de fusil.

Mais il allait trop loin, on le traita d’original. C’était, du reste, grâce à cette réputation d’originalité qu’il devait de ne pas perdre sa clientèle. Il continua, en