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POT-BOUILLE

Béranger à table ; mais celle-ci, dont il blessait les goûts poétiques, lui imposa silence. Elle hâta le dessert ; d’autant plus que l’oncle, assombri depuis le cadeau forcé des vingt francs, cherchait une querelle, en se plaignant que son neveu Léon n’eût pas daigné se déranger pour lui souhaiter sa fête. Léon devait seulement venir à la soirée. Enfin, comme on se levait, Adèle dit que c’était l’architecte d’en dessous et un jeune homme, qui se trouvaient au salon.

— Ah ! oui, ce jeune homme, murmura madame Juzeur, en acceptant le bras de M. Josserand. Vous l’avez donc invité ?… Je l’ai aperçu aujourd’hui chez le concierge. Il est très bien.

Madame Josserand prenait le bras de Trublot, lorsque Saturnin, qui était resté seul à table, et que tout le tapage des vingt francs n’avait pas éveillé du sommeil dont il dormait, les yeux ouverts, renversa sa chaise, dans un brusque accès de fureur, en criant :

— Je ne veux pas, nom de Dieu ! je ne veux pas !

C’était toujours là ce que redoutait sa mère. Elle fit signe à M. Josserand d’emmener madame Juzeur. Puis, elle se dégagea du bras de Trublot, qui comprit et disparut ; mais il dut se tromper, car il fila du côté de la cuisine, sur les talons d’Adèle. Bachelard et Gueulin, sans s’occuper du toqué, comme ils le nommaient, ricanaient dans un coin, en s’allongeant des tapes.

— Il était tout drôle, je sentais quelque chose pour ce soir, murmura madame Josserand très inquiète. Berthe, viens vite !

Mais Berthe montrait la pièce de vingt francs à Hortense. Saturnin avait pris un couteau. Il répétait :

— Nom de Dieu ! je ne veux pas, je vais leur ouvrir la peau du ventre !

— Berthe ! appela la voix désespérée de la mère.

Et, quand la jeune fille accourut, elle n’eut que le