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LES ROUGON-MACQUART

ni en moins… Berthe a copié ça ici, sur une gravure. Au Louvre, on voit vraiment trop de nudités, et le monde y est si mêlé parfois !

Elle avait baissé la voix, pour donner cette appréciation, désireuse d’apprendre au jeune homme que, si sa fille était artiste, cela n’allait point jusqu’au dévergondage. D’ailleurs, Octave dut lui paraître froid, elle sentit que la coupe ne portait pas, elle se mit à l’épier d’un air d’inquiétude, pendant que Valérie et madame Juzeur, qui en étaient à leur quatrième tasse de thé, examinaient la peinture avec de légers cris d’admiration.

— Vous la regardez encore, dit Trublot à Octave, en le retrouvant les yeux fixés sur Valérie.

— Mais oui, répondit-il, un peu gêné. C’est drôle, elle est jolie en ce moment… Une femme ardente, ça se voit… Dites donc, est-ce qu’on pourrait se risquer ?

Trublot gonfla les joues.

— Ardente, on ne sait jamais… Singulier goût ! En tout cas, ça vaudra mieux que d’épouser la petite.

— Quelle petite ? s’écria Octave, qui s’oubliait. Comment ! vous croyez que je vais me laisser entortiller !… Mais jamais ! Mon bon, nous n’épousons pas, à Marseille !

Madame Josserand s’était approchée. Elle reçut la phrase en plein cœur. Encore une campagne inutile ! encore une soirée perdue ! Le coup fut tel, qu’elle dut s’appuyer à une chaise, regardant avec désespoir la table nettoyée, où ne traînait que la tête brûlée de la brioche. Elle ne comptait plus ses défaites, mais celle-ci serait la dernière, elle en fit l’affreux serment, en jurant de ne pas nourrir davantage des gens qui venaient chez elle uniquement pour s’emplir. Et, bouleversée, exaspérée, elle parcourait du regard la salle