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LES ROUGON-MACQUART

de soixante ans, le jour où j’ai eu ma retraite, après avoir été pendant trente-neuf ans commis rédacteur au ministère de l’instruction publique. Eh bien ! monsieur, ce jour-là, j’ai dîné comme les autres jours, sans que l’orgueil me dérangeât de mes habitudes… La croix m’était due, je le savais. J’ai été simplement pénétré de reconnaissance.

Son existence était claire, il voulait que tout le monde la connût. Après vingt-cinq ans de service, on l’avait mis à quatre mille francs. Sa retraite était donc de deux mille. Mais il avait dû rentrer comme expéditionnaire à quinze cents, ayant eu leur petite Marie sur le tard, lorsque madame Vuillaume n’espérait plus ni fille ni garçon. Maintenant que l’enfant se trouvait casée, ils vivaient avec la retraite, en se serrant, rue Durantin, à Montmartre, où la vie était moins chère.

— J’ai soixante-seize ans, dit-il pour conclure, et voilà, et voilà, mon gendre !

Pichon le contemplait, les yeux sur sa décoration, silencieux et las. Oui, ce serait son histoire, si la chance le favorisait. Lui, était le dernier né d’une fruitière, qui avait mangé sa boutique pour faire de son fils un bachelier, parce que tout le quartier le disait très intelligent ; et elle était morte insolvable, huit jours avant le triomphe à la Sorbonne. Après trois ans de vache enragée chez un oncle, il avait eu le bonheur inespéré d’entrer au ministère, qui devait le mener à tout, et où déjà il s’était marié.

— On fait son devoir, le gouvernement fait le sien, murmura-t-il, en établissant le calcul machinal qu’il avait encore trente-six ans à attendre pour être décoré et obtenir deux mille francs de retraite.

Puis, il se tourna vers Octave.

— Voyez-vous, monsieur, ce sont les enfants qui sont lourds.