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POT-BOUILLE

tion libérale. La littérature a certainement des droits… Cette lecture lui produisit un effet extraordinaire, monsieur. Elle pleurait la nuit, en dormant : preuve qu’il n’y a rien de tel qu’une imagination pure pour comprendre le génie.

— C’est si beau ! murmura la jeune femme, dont les yeux brillèrent.

Mais Pichon ayant exposé cette théorie : pas de romans avant le mariage, tous les romans après le mariage, madame Vuillaume hocha la tête. Elle ne lisait jamais, et s’en trouvait bien. Alors, Marie parla doucement de sa solitude.

— Mon Dieu ! je prends quelquefois un livre. D’ailleurs, c’est Jules qui choisit pour moi au cabinet du passage Choiseul… Si je touchais du piano encore !

Octave, depuis longtemps, sentait le besoin de placer une phrase.

— Comment ! madame, s’écria-t-il, vous ne touchez pas du piano !

Il y eut une gêne. Les parents parlèrent d’une suite de circonstances malheureuses, ne voulant pas avouer qu’ils avaient reculé devant les frais. Du reste, madame Vuillaume affirmait que Marie chantait juste de naissance ; quand cette dernière était jeune, elle savait toutes sortes de romances très jolies, il lui suffisait d’entendre les airs une seule fois pour les retenir ; et la mère rappela cette chanson sur l’Espagne, l’histoire d’une captive regrettant son bien-aimé, que l’enfant disait avec une expression à arracher des larmes aux cœurs les plus durs. Mais Marie restait désolée. Elle laissa échapper ce cri, en étendant la main vers la chambre voisine, où sa petite dormait :

— Ah ! je jure bien que Lilitte saura le piano, quand je devrais faire les plus grands sacrifices !

— Songe d’abord à l’élever comme nous t’avons