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LES ROUGON-MACQUART

Elle, du reste, faisait ce que son mari voulait. Sans doute, elle aimait les enfants ; s’il avait pu en désirer d’autres, elle n’aurait pas dit non. Et, sous cette complaisance, qui se subordonnait aux ordres de sa mère, perçait une indifférence de femme dont la maternité ne s’était pas éveillée. Lilitte l’occupait comme son ménage, qu’elle tenait par devoir. Quand elle avait lavé la vaisselle et promené la petite, elle continuait son ancienne vie de jeune fille, d’un vide somnolent, bercée dans l’attente vague d’une joie qui ne venait point. Octave ayant dit qu’elle devait s’ennuyer, toujours seule, elle parut surprise : non, elle ne s’ennuyait jamais, les journées coulaient tout de même, sans qu’elle sût, en se couchant, à quelle besogne elle les avait passées. Puis, le dimanche, elle sortait parfois avec son mari ; ses parents venaient, ou encore elle lisait. Si la lecture ne lui avait pas donné mal à la tête, elle aurait lu du matin au soir, maintenant qu’il lui était permis de tout lire.

— Ce qui est contrariant, reprit-elle, c’est qu’ils n’ont rien, au cabinet du passage Choiseul… Ainsi, j’ai voulu avoir André, pour le relire, tant ça m’a fait pleurer autrefois. Eh bien ! justement, on leur a volé le volume… Avec ça, mon père me refuse le sien, parce que Lilitte déchirerait les images.

— Mais, dit Octave, mon ami Campardon a tout George Sand… Je vais lui demander André pour vous.

Elle rougit, ses yeux brillèrent. Vraiment, il était trop aimable ! Et, quand il la laissa, elle resta devant Lilitte, les bras ballants, la tête sans une idée, dans l’attitude qu’elle gardait pendant des après-midi entières. Elle détestait la couture, elle faisait du crochet, toujours le même bout, qui traînait sur les meubles.

Le lendemain, un dimanche, Octave lui apporta le livre. Pichon avait dû sortir, pour déposer une carte