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Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/181

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Les derniers et grands poètes de nos temps décolorés sont des voix sublimes de désespérance et de satire, Byron et Barbier ; leurs vers sont arrachés de leurs âmes en peine par les ongles cruels du découragement : ils chantent au-dessus d’une société qui s’enfonce dans l’abîme vengeur. — Tandis que les poètes slaves, les Mickiewickz, les Lermontoff, les Herzen sont pleins de confiance dans un avenir lointain. Nous sortons attristés du grand temple de la Gloire nationale qui leur ouvre ses portes, et nous les rencontrons en chemin, se hâtant, pleins d’allégresse, vers leurs destinées prochaines. Tout jeunes que nous soyons, nous sommes des vieillards ; tout vieux que soit un Slave, c’est un homme jeune. Le caractère de la race commande celui de l’individu.

Voici dix lignes de A. Herzen qui prouveront l’exactitude de mes assertions. Sur chacune de ces lignes un mort est étendu tout son long, un mort-martyr du Tzarisme ! Que ces dix noms soient conservés !

« Un sort terrible et sombre est réservé chez nous à quiconque ose lever la tête au-dessus du niveau tracé par le sceptre impérial : poète, citoyen, penseur, une fatalité inexorable les pousse vers la tombe. L’histoire de notre littérature est un martyrologe ou un registre des bagnes. Ceux mêmes que le gouvernement a épargnés périssent, à peine éclos, se pressant de quitter la vie.

« Là, sotto giorni brevi a nebulosi
Nasce una gente a cui de morir non duole ! »


Ryléteff, pendu par Nicolas.
Pouchkine, tué dans un duel, à trente-huit ans.
Griboiedoff, assassiné à Tcheran.
Lermontoff, tué dans un duel, à trente ans, au Caucase.
Vénévitinoff, tué par la société, à vingt-deux ans.
Koltzoff, tué par sa famille, à trente-trois ans.