Aller au contenu

Page:Ernest Cœurderoy - Hurrah !!!.djvu/321

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux races aux prises, la plus subjuguée n’est pas celle qu’on pense[1]. Le pouvoir apporté par la conquête doit faire oublier aux peuples les pouvoirs précédents, et leur devenir cher à l’égal des Alexandre et des César ; il ne peut divorcer avec l’opinion sans danger de mort violente ; il n’a d’appui solide que dans les masses exigeantes qui attendent leur salut de lui seul et le font à leur image : fort, audacieux, actif, révolutionnaire, Dieu tout-puissant, en un mot, contre le Mal ! Plus la couronne est lourde, et plus elle déprime, hélas ! l’infortuné qui la porte. L’homme vraiment roi, maître ici-bas, c’est l’homme libre. —

La Conquête et les Réglementations passagères auxquelles elle donne lieu ne sont pas d’institution organique parmi les peuples. Ce sont des fièvres ou des convulsions qui aident à l’heureux dénouement de ces crises, mais qui ne durent en somme que ce que peuvent durer les convulsions et les fièvres. Ésope l’a dit : les ressorts toujours tendus se rompent. Et les médecins savent bien que les plus graves des fièvres ne sont pas celles qui traversent l’organisme, violentes et rapides comme la foudre, mais bien ces petites fièvres nocturnes qui ne tuent qu’à la longue et sèment des apparitions sinistres sur les draps blancs des moribonds. Contre la Mort imminente, contre la Ruine totale, la Fièvre, la Guerre et la Conquête sont utiles, à la condition d’envahir un organisme en surface et en profondeur, de manière à conjurer toutes ses forces contre le danger.

  1. Montesquieu écrit dans les Lettres Persanes : « Tu dis que les fondateurs des empires ont presque tous ignoré les arts ? Je ne te nie pas que les peuples barbares n’aient pu, comme des torrents impétueux, se répandre sur la terre et couvrir de leurs armées féroces les royaumes les mieux policés. Mais prends-y garde, ils ont appris les arts ou les ont fait apprendre aux peuples vaincus. Sans cela leur puissance aurait passé comme le bruit du tonnerre ou des tempêtes. »