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Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/117

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du contrat social, comme un artifice humain, et son extension indéfinie comme la source de la plupart des maux qui affligent les sociétés, chargent l’État d’en surveiller l’accroissement. Ceux-ci ne doutent point que la surabondance des riches ne cause directement la détresse des pauvres, et Rousseau déclare sans sourire que toutes les fois qu’un élégant fait poudrer sa perruque, il affame un indigent. Or si les Economistes ont eu vers le milieu du siècle leur moment de faveur auprès du public, plus tard ce sont les moralistes qui ont pris l’avantage et une vive admiration s’est attachée à leurs conceptions si engageantes et si simples : l’état de nature primitif avec la liberté absolue et l’égalité absolue ; la propriété personnelle et la servitude naissant ensemble ; la déchéance de l’humanité s’aggravant avec l’extension des empires et des richesses ; d’où le rêve d’une organisation sociale étroite par laquelle l’humanité régénérée reviendra autant qu’il est possible à son innocence native sous l’action de l’État, restaurateur de la vertu.

Les Physiocrates et Voltaire[1] exceptés, les tendances

  1. Et encore Voltaire tout en se moquant des moralistes réformateurs, admettait qu’un bon tyran pouvait en peu de temps mettre un terme aux abus, parmi lesquels il comptait l’exclusion des « vrais travailleurs » de la propriété foncière. Voici la lettre qu’il adressait en 1760 à M. de Bastide, auteur de deux ouvrages inspirés par l’esprit du temps, Le nouveau spectateur (1758) et Le monde comme il est (1760) :
    « IL est un peu fâcheux pour la nature humaine, j’en conviens avec vous, que l’or fasse tout et le mérite presque rien ; que les vrais travailleurs derrière la scène aient à peine une subsistance honnête, tandis que des personnages en titre fleurissent sur le théâtre ; que les sots soient aux nues et les génies dans la fange ; qu’un père déshérite six enfants vertueux pour combler de biens un premier-né qui souvent les déshonore ; qu’un malheureux qui fait naufrage ou qui périt de quelque autre façon dans une terre étrangère, laisse au fisc de cet État la fortune de ses héritiers (Droit d’aubaine).
    « On a quelque peine à voir, je l’avoue encore, ceux qui labourent dans la disette, ceux qui ne produisent rien dans le luxe ; de