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Page:Espinas - La Philosophie sociale du XVIIIe siècle et la Révolution.djvu/210

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En 1785, Babeuf est commissaire à terriers ou feudiste dans la ville de Roye. On sait que le feudiste recherchait dans les Chartriers tous les droits ou privilèges qui avaient pu tomber en désuétude ou qui n’étaient plus exigés dans leur intégrité. L’opération était dispendieuse ; mais d’abord, dans certains pays, on la faisait payer aux paysans, ensuite le seigneur même qui la rémunérait en était largement dédommagé par l’augmentation de revenu qu’il en tirait. La féodalité du nord était dure. Elle saisit avec empressement le moyen qui s’offrait de remettre à neuf sa machine à pressurer le paysan. Babeuf eut jusqu’à vingt employés dans son agence. Le voilà, ce semble, délivré du besoin. Des enfants lui naissent ; il se fait, comme tous les pères, à leur sujet, des illusions qui l’enchantent. La besogne est rude, mais il a une telle activité intellectuelle et un tel désir de s’élever qu’il trouve le temps de concourir pour un prix de l’Académie des Lettres d’Arras, fait à cette occasion la connaissance du secrétaire perpétuel et entretient avec lui une correspondance des plus copieuses, très douce à son amour-propre. Nous y voyons un Babeuf qui a souffert, mais qui commence à goûter un sort plus heureux et ne soupçonne guère que la révolution soit proche pourtant ce Babeuf est déjà nettement socialiste.

Il est socialiste, simplement parce qu’il est enthousiaste « de cette philosophie moderne, de cette philosophie si conforme aux droits de l’humanité, de cette philosophie enfin qui fait l’honneur de notre siècle et qui produira nécessairement l’entière félicité de ceux à venir[1] » Il connaît bien Rousseau ; non seulement il donne à son fils le nom d’Emile, mais il analyse un long passage du livre

  1. Correspondance de Babeuf avec Dubois de Fosseux. Advielle, t. II, p. 38.