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Page:Esquiros - Paris ou les sciences, tome 1.djvu/78

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réalisent jamais. Au reste, il se trouvait bien de sa pauvreté et la portait dignement. Réduit à vivre de son traitement de l’Institut, il se montra toujours le plus assidu et le plus dévoué aux travaux de l’Académie des sciences morales. Sa jeune et verte intelligence ne connaissait point la rouille que l’âge dépose trop souvent sur les plus nobles facultés. Il ne gardait du vieillard que l’expérience et la parole grave : comme Nestor, l’harmonieux orateur des Pyliens, il avait vu passer deux générations de mortels à la voix articulée ; débris du dernier siècle, il avait surnagé à un événement qui avait englouti tout un passé ; on comprend que les hommes d’à présent devaient lui sembler petits. Il était de la race et de l’époque des géans ; aussi disait-il avec Nestor en parlant de ceux qu’il avait connus dans sa jeunesse :

Καὶ μαχόμην κατ’ ἔμ’ αὐτὸν ἐγώ· Κείνοισι δ’ ἂν οὔτις
Τῶν, οἳ νῦν βροτοί εἰσιν ἐπιχθόνιοι, μαχέοιτο·

« Je combattis avec eux suivant mes forces ; mais nul des mortels qui sont aujourd’hui sur la terre ne les combattrait. » Ferme et doux, il couvrait l’énergie intérieure sous des dehors pleins de modestie. Son passé avait été austère, sa vieillesse fut sereine ; il vit venir la mort avec ce sang-froid qui est la résolution du sage. Ses convictions étaient arrêtées depuis longtemps sur nos destinées futures : Lakanal ne croyait pas au néant. Voici la fin d’une lettre inédite adressée à un ami : « Il ne saurait douter que je conserverai pour lui les mêmes sentimens jusqu’au moment où