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LECONTE DE LISLE

Il ne s’attarde pas à nous donner son signalement en détail. En trois ou quatre traits — trois ou quatre coups de crayon, ou trois ou quatre touches de pinceau — il le dresse devant nous, avec sa forme, sa couleur, son attitude caractéristique. Le lion vient au seuil de son antre,


Arquant ses souples reins fatigués du repos,
Et sa crinière jaune éparse sur le dos[1],


pour humer l’air du soir ; ou bien il marche dans la nuit, le col droit, l’œil au guet, flairant les senteurs qui montent à lui des ténèbres. La panthère noire qui, à l’aube, regagne son gîte, ondule d’arbre en arbre dans sa robe de velours ; elle glisse en silence sous les hautes fougères, s’enfonce et disparaît entre les troncs moussus.


Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,


traversent le désert dans un nuage de poussière monté des dunes de sable qui croulent sous leurs pieds ; l’oreille en éventail, l’œil clos, la trompe entre les dents, ils suivent sans jamais dévier de la ligne, le vieux chef qui les conduit :


                                                                  Son corps
Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine,
Sa tête est comme un roc, et l’arc de son échine
Se voûte puissamment à ses moindres efforts[2].


Troublé dans son sommeil par les vagues rumeurs du jour, l’aboma hausse sa spirale vers le soleil ; il raidit le col aux muscles puissants qui soutient sa tête squameuse, fouette l’eau de sa queue et se dresse,


Armuré de topaze et casqué d’émeraude,
Comme une idole antique immobile en ses nœuds[3].


Le vent du large a beau beugler, rugir, siffler, râler, miauler, pulvériser l’eau blême et déchiqueter les nuées, l’albatros,

  1. Poèmes Barbares : L’Oasis.
  2. Poèmes Barbares : Les Eléphants.
  3. Poèmes Tragiques : L’Aboma.