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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/154

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LECONTE DE LISLE


Ah ! dans vos lits profonds quand je pourrai descendre,
Comme un forçat vieilli qui voit tomber ses fers,
Que j’aimerai sentir, libre des maux soufferts,
Ce qui fut moi rentrer dans la commune cendre[1] !


Et pour se consoler de la vie, et pour s’aider à en supporter le poids, il n’est que de fixer sa pensée sur le terme inévitable, lequel viendra tôt ou tard, à son heure et à son jour :


La vie est ainsi faite : il nous la faut subir.
Le faible souffre et pleure, et l’insensé s’irrite
Maisle plus sage en rit, sachant qu’il doit mourir[2].


II

Une disposition naturelle à la tristesse, dont les premiers symptômes et comme le pressentiment s’étaient fait sentir de bonne heure, et qui provenait, semble-t-il, de la rencontre malheureuse d’un tempérament apathique et d’une âme ardente ; cette disposition, accrue par les circonstances d’une vie pénible et précaire, par l’éloignement des siens et du pays natal, par la solitude morale, par des embarras matériels qui entraînaient non seulement des privations difficilement supportables, mais des comparaisons douloureuses entre ce qui était et ce qui aurait dû être et d’intolérables humiliations, telles sont, du pessimisme de Leconte de Lisle, les causes que nous pouvons appeler personnelles. Et il faut bien convenir qu’elles expliquent et même qu’elles justifient ses paroles amères et son profond désenchantement de la vie. Mais ce ne sont pas là toutefois des bases assez larges pour édifier sur elles une conception générale des choses, et, de t’œuvre de Leconte de Lisle, il n’y aurait pas lieu de dégager une philosophie, si, à ces motifs, qui étaient valables pour lui-même, ne s’en étaient ajoutés d’autres d’une portée plus universelle et d’un caractère plus désintéressé.

Leconte de Lisle appartenait par sa naissance à la génération de

  1. Poèmes Barbares : Le vent froid de la nuit.
  2. Ibid. : Requies.