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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/186

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LECONTE DE LISLE

vers » — du moins il les jugeait tels à l’époque — qu’il regrettait d’y avoir « enfouis sans profit pour l’École comme pour sa réputation » : Hélène, Architecture, Les Épis, La Recherche de Dieu, Les Sandales d’Empédocle, Tantale, Le Voile d’Isis, tous ces poèmes amples et éloquents, d’inspiration humanitaire et de tendance vaguement socialiste, dont je n’ai pu citer à mon regret que de trop courts passages, et non pas peut-être, au point de vue poétique, les plus heureux. Un autre les eût conservés avec soin. Leconte de Lisle, héroïquement, les sacrifia. Et ce ne sont pas les seuls. En feuilletant les éditions originales de ses recueils ou les livraisons de la Revue Contemporaine dans lesquelles parurent d’abord la plupart des Poèmes Barbares, on en trouverait d’autres qu’il a résolument exclus de son œuvre, parce qu’ils ne répondaient pas, ou ne répondaient plus à sa conception de l’Art. Quant à ceux qu’il a gardés, il les a remis sur le métier, corrigés, remaniés. Avant qu’il se décidât à les livrer pour la première fois à l’impression, quelles peines lui avaient-ils déjà coûtées ? Il faudrait pour le dire, avoir eu ses manuscrits sous les yeux. Mais rien qu’avec les variantes que présentent les textes imprimés, il y aura de quoi faire, quand le moment sera venu, une édition critique fort intéressante. Certains de ces poèmes ont été récrits presque entièrement. C’est le cas, notamment, des « poèmes grecs » parus dans La Phalange en 1846 et 1847. Leconte de Lisle s’imposa la tâche ingrate de refaire plusieurs centaines de vers uniquement pour restituer aux dieux de l’Olympe leurs appellations authentiques, et remplacer Saturne, Vénus ou Neptune par Kronos, Aphrodite et Poseidon. Il en est, comme les Ascètes, dont il modifia le sens, ou comme les Étoiles Mortelles, dont il changea le rythme, ou comme La Fontaine aux lianes, qu’il refit stance par stance, simplement pour les faire mieux. Et, non content d’une première revision, dans certains cas il en fit une seconde. De Niobé, par exemple, nous avons jusqu’à trois états successifs. Une preuve assez curieuse de l’attachement de Leconte de Lisle à tel sujet qui lui avait plu, et en même temps de sa difficulté à s’avouer satisfait de lui-même nous est offerte par la pièce des Poèmes Antiques intitulée les Éolides. Ce n’est pas au demeurant une des meilleures du recueil.