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LECONTE DE LISLE

habitudes de composition. Il aime les ordonnances simples, majestueuses, où le tableau de l’activité humaine, réduit aux gestes essentiels, sert de toile de fond à quelque grande figure qui occupe le premier plan et impose à l’ensemble ses proportions et son unité. Dans Khirôn, la description du soir sur les plaines d’Haimonie et de la vie bucolique menée par les vierges et les pasteurs encadre et relève par le contraste la gravité souveraine d’Orphée :


Silencieux, il passe, et les adolescents
Écoutent résonner au loin ses pas puissants.
C’est un Dieu ! pensent-ils et les vierges troublées
S’entretiennent tout bas, en groupes rassemblées.


C’est autour de ce personnage central et par rapport à lui que t’œuvre s’organise. Le souci de l’équilibre et des proportions y est toujours sensible. Niobé en fournit un excellent exemple. Il y a, dans la première partie du poème, une description du palais d’Amphion, corsée de chants exécutés par l’aède. Ces chants en l’honneur de Zeus, d’Apollôn, d’Artémis, ne sont pas inutiles à l’action, puisque ce sont eux qui irriteront l’orgueil de Niobé et feront monter le blasphème à ses lèvres ; mais on peut trouver qu’ils sont un peu longs, comme on peut par contre trouver un peu court le récit fait par le chœur de la mort, sous les flèches des dieux, des quatorze enfants de la reine. C’est qu’il fallait balancer la composition, et laisser aussi exactement que possible en son milieu la grande tirade dans laquelle la fille de Tantale défie et brave les Immortels. Dans les poèmes où il ne se trouve pas de personnage central, l’équilibre est obtenu par la symétrie des parties. Dans La Légende des Nornes, les trois vieilles assises surtes racines du frêne Yggdrasill prennent tour à tour la parole : elles la gardent chacune pendant un nombre sensiblement égal de vers, et le dessin général de la composition nous est connu dès que nous savons de quoi parle la première : du moment qu’elle est le passé, la seconde sera le présent et la troisième l’avenir. Dans Baghavat, les trois brahmanes procèdent de la même façon ; et, ici, la symétrie de l’ordonnance est encore soulignée par les formes du style puisque chaque discours s’achève par une conclusion iden-