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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/199

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L’ART

Plus massifs que le cèdre et plus hauts que le pin,
Suants, échevelés, soufflant leur rude haleine
Avec leur bouche épaisse et rouge, et pleins de faim.

C’est ainsi qu’ils rentraient, l’ours velu des cavernes
À l’épaule, ou le cerf, ou le lion sanglant.
Et les femmes marchaient, géantes, d’un pas lent
Sous les vases d’airain qu’emplit l’eau des citernes,
Graves, et les bras nus, et les mains sur le flanc.

Elles allaient, dardant leurs prunelles superbes,
Les seins droits, le col haut, dans la sérénité
Terrible de la force et de la liberté,
Et posant tour à tour dans la ronce et les herbes
Leurs pieds fermes et blancs avec tranquillité.

Le vent respectueux, parmi leurs tresses sombres,
Sur leur nuque de marbre errait en frémissant,
Tandis que les parois des rocs couleur de sang,
Comme de grands miroirs suspendus dans les ombres,
De la pourpre du soir baignaient leur dos puissant.

Les ânes de Khamos, les vaches aux mamelles
Pesantes, les boucs noirs, les taureaux vagabonds
Se hâtaient, sous l’épieu, par files et par bonds
Et de grands chiens mordaient le jarret des chamelles
Et les portes criaient en tournant sur leurs gonds.

Et les éclats de rire et les chansons féroces,
Mêlés aux beuglements lugubres des troupeaux,
Tels que le bruit des rocs secoués par les eaux,
Montaient jusqu’aux tours où, le poing sur leurs crosses,
Des vieillards regardaient, dans leurs robes de peaux.

Spectres de qui la barbe, inondant leurs poitrines,
De son écume errante argentait leurs bras roux,
Immobiles, de lourds colliers de cuivre aux cous,
Et qui, d’en haut, dardaient, l’orgueil plein les narines,
Sur leur race des yeux profonds comme des trous.


Au premier plan, l’aspect farouche et violent des guerriers, contrastant avec la beauté calme et sculpturale des femmes au fond, dans un nuage de poussière, les troupeaux s’enfonçant pêle-mêle sous les portes de la ville en haut, les vieillards immobiles au sommet des tours. Ainsi par paliers successifs se distribue, s’étage et pyramide, pour ainsi dire, tout le tableau, baigne dans cette lumière sanglante du couchant qui achève de lui donner son caractère et renforce l’unité de composition par l’unité