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Page:Estève - Leconte de Lisle, Boivin.djvu/213

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L’IMPASSIBILITÉ


Emportant à plein vol l’Espérance insensée,
Qu’est-ce que tout cela qui n’est pas éternel[1] !


Ce qui fait vraiment et proprement le lyrisme, ce je ne sais quoi de plus que l’image, le mouvement et le rythme, ce timbre qui lui donne toute sa profondeur et qui fait qu’il vibre et se prolonge à travers les âmes, il est ici et je ne sache pas qu’il y ait dans toute la poésie française quatre vers qui soient, plus que ces quatre vers de l’Illusion suprême, directement jaillis du cœur, et chargés, en même temps que de plus d’émotion individuelle, de plus de large et de poignante humanité. Cet amour passionné de la vie, c’est un autre sentiment essentiel à la poésie de Leconte de Lisle. Nul homme, au cours d’une longue existence, ne s’est senti mourir peu à peu — en dépit des affirmations de sa philosophie pessimiste et de la résignation stoïque où par moments il s’efforce — avec plus de regret, de douleur et de désespoir.

Amour passionné de la vie amour aussi de tout ce qui en fait la noblesse et la joie, de tout ce qui vaut la peine de vivre. Toute t’œuvre de Leconte de Lisle est un hymne à la beauté. Beauté de la nature et beauté de la femme, beauté de l’art et beauté intellectuelle, à la beauté sous toutes ses formes, à « la sainte beauté » comme il l’appelle, il a rendu des hommages d’une gravité quasi religieuse. Non moins que la beauté, il a aimé la liberté, qui fait la grandeur et la dignité de l’homme. Ces deux sentiments, qu’il avait accoutumé d’unir, se retrouvent ensemble dans les rares occasions où le poète, dérogeant à la règle esthétique qu’il s’était imposée, s’est laissé inspirer directement par les événements contemporains. En 1859, quand, la veille de la seule guerre du second Empire qui ait été populaire, il adressait à l’Italie un éloquent appel, il saluait en elle la continuatrice de la tradition antique, l’héritière de la Grèce, la rénovatrice de la beauté :


Depuis la sainte Hellas, où donc est la rivale
Qui marqua comme toi l’empreinte de ses pas ?

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Qui donc a su tenir d’une puissance telle,
  1. Poèmes Tragiques : L’Illusion suprême.